Noir sur blanc
Cette histoire que tu racontes n'existe pas, sinon dans l'invisible, dans cet espace entre les lettres, les mots et les lignes.
L'encre, le noir de l'encre n'est qu'une illusion, une supercherie, un décalage.
Une licence offerte à ton être malade.
Ce noir-là, ton noir, s'il est quelque chose, est une usurpation.
Tu n'es pas dans tes lignes, mais entre elles,
pas moins illisible et filant qu'un mauvais courant d'air.
Du vent, rien que du vent. Tu es dans la marge, dans l'intervalle,
dans ce qui n'est pas dit, dans ce que tu tais, ce que tu caches.
Parce qu'il t'est impossible de le révéler. A moins de te perdre.
Ta vraie histoire est là, dans le blanc, dans tout ce que tu ne peux
ni ne veux écrire.
Dans le silence assourdissant du vide.
Ecrire est mentir, parfois. Ou toujours, dans ton cas.
Et broyer du noir pour en tirer des signes.
Un exercice automatique, une pratique permanente de l'esquive.
L'entretien d'un malentendu qui semble si vrai.
Un spectacle dont tu es l'auteur, l'acteur, et le clown.
La victime, et surtout l'assassin.
Une farce que tu voudrais légère et sans conséquence,
à rebours de ce grotesque intermède à quoi se résume ton existence.
Broyer du noir.
Rien ne pourrait mieux convenir au livre de ton mal.
Texte : Martin Cadeau — Visuel : Geneviève Caplet - homme noir et blanc